"Le passage des Puniques en Gaule, un sujet insuffisamment creusé..."

L'interview de Jean-Louis Brunaux, archéologue, historien et auteur de plusieurs livres sur les Gaulois

AHB : "Jean-Louis Brunaux, vous sortez en février 2018 un Vercingétorix (1) qui redonne son importance au personnage le plus emblématique de la Guerre des Gaules. A cette occasion vous soulignez les relations très anciennes des Romains avec les Gaulois de Gaule et l'importance, pour ces relations, de la Seconde Guerre Punique. Qu'en est-il exactement?"

J-L B. : "La prise de conscience, par les Romains, de l'existence d'un "Empire" est un concept intimement associé à la Seconde Guerre Punique. C'est à ce moment qu'il ont formalisé leurs liens avec leurs voisins. Et notamment avec les Gaulois de Gaule. C'est par exemple l'époque où les Eduens (NDA : un peuple établi dans les actuels départements français de la Nièvre, de Saône-et-Loireet d'une partie de la Côte-d'Or et de l'Allier) sont faits "Amis de Rome" en récompense, probablement, de l'aide qu'ils ont apporté à Rome dans ce conflit et, à mon avis, pour avoir empêché des mercenaires venus de Nord de se joindre aux troupes d'Hannibal..."

AHB : "Que sait-on justement des rapports entre les Gaulois de Gaule et Hannibal?"

J-L B. : "Ces rapports sont étroits. D'abord parce que pour rejoindre l'Italie, Hannibal a été obligé de traverser une partie de leur territoire. Il ne l'a fait qu'en s'entendant avec les Gaulois vivant sur les terres qu'il allait traverser. Et si on ignore encore précisément le parcours des Puniques pour traverser les cols des Alpes, on a une idée assez précise de leur itinéraire pour traverser la partie méridionale du pays, ce qu'on appelle le Languedoc aujourd'hui. On est ainsi à peu près surs qu'ils ont emprunté la Via Domitia. Elle n'existait pas sous sa forme romaine à l'époque, mais on sait que son tracé était déjà utilisé par les Gaulois depuis longtemps. Mais les rapports entre Gaulois et Puniques ont été beaucoup plus loin…"

AHB : "Vous voulez parler d'accords diplomatiques, d'un soutien logistique ou d'une aide militaire?"

J-L B. : "C'est un sujet qui n'a pas été assez étudié, à mon avis. Ce qui me parait intéressant ce serait de montrer le rôle, dans le passage des Puniques, des Arvernes (NDA : peuple vivant dans l'Auvergne actuelle) et des Volques Tectosages (NDA : peuple vivant en Languedoc occidental à l'ouest du fleuve Hérault) qui étaient sous la suzeraineté des Arvernes. Et ce sont eux qui ont permis et organisé ce passage. L'entreprise était énorme et, surtout, délicate. On a vu le soin qu'ont apporté les Helvètes à la préparation de leur déplacement. Et l'importance qu'ont eu leurs problèmes logistiques dans le déclenchement de la Guerre des gaules. Là, avec les Puniques, un siècle et demi avant, on était dans le même cas, à une époque où les relations "internationales" étaient encore moins avancées. Or, que constate-t-on? C'est que dans l'ensemble, la traversée c'est bien passée : cela veut dire qu'il y a eu, à l'époque, et au plus haut niveau, un traitement politique en profondeur de la chose."

AHB : "Cela s'est concrétisé de quelle façon?"

J-L B. : "On sait, notamment grâce à Polybe, que les Puniques ont reçu sur leur parcours une assistance non négligeable. Cela a pu se faire grâce à l'or punique, bien sur. Mais aussi à des accords qui sont à la fois politiques et commerciaux. Un exemple : Polybe nous explique que les Puniques ont acheté tout l'équipement de leurs guerriers aux Gaulois avant de se lancer dans la traversée les Alpes. Ils leur ont acheté des armes, des vêtements et notamment des chaussures. Vous vous rendez compte de l'impact pour l'économie gauloise? Ce sont sans doute les Volques qui en ont profité... Ce qui est certain, c'est qu'il y a là des thèmes de recherche qui sont insuffisamment explorés et qu'il faut creuser"

Propos recueillis par Eric Tréguier

(1) Jean-Louis Brunaux, Vercingétorix, 2018, Colelction NRF Biographies, Gallimard